naine ou de quelque bête qu'elle avait peut-être amenée avec
elle, car il ne pouvait lui entrer dans l'esprit que ce fût
effectivement de la jeune fille. L'on portait le portrait de Rosette au
bout d'un grand bâton tout découvert, et le roi marchait gravement
après, avec tous ses barons et tous ses paons, puis les ambassadeurs des
royaumes voisins. Le roi des paons était impatient de voir sa chère
Rosette.
Dame! quand il l'aperçut, il faillit mourir sur place; il se mit dans la
plus grande colère du monde; il déchira ses habits; il ne voulait pas
l'approcher: elle lui faisait peur.
«Comment, dit-il, ces deux marauds que je tiens dans mes prisons ont
bien de la hardiesse de s'être moqués de moi et de m'avoir proposé
d'épouser une magotte comme cela: je les ferai mourir. Allons, que l'on
enferme tout à l'heure cette pimbêche, sa nourrice et celui qui les
amène! Qu'on les mette au fond de ma grande tour!»
D'un autre côté, le roi et son frère, qui étaient prisonniers, et qui
savaient que leur soeur devait arriver, s'étaient habillés de beau pour
la recevoir.
Au lieu de venir ouvrir la prison, et les mettre en liberté ainsi qu'ils
l'espéraient, le geôlier vint avec des soldats et les fit descendre dans
une cave toute noire, pleine de vilaines bêtes, où ils avaient de l'eau
jusqu'au cou. «Hélas! se disaient-ils l'un à l'autre, voilà de tristes
noces pour nous. Qu'est-ce qui peut nous procurer un si grand malheur?»
Ils ne savaient au monde que penser, sinon qu'on voulait les faire
mourir. Trois jours se passèrent sans qu'ils entendissent parler de
rien. Au bout de trois jours, le roi des paons vint leur dire des
injures par un trou.
«Vous avez pris le titre de roi et de prince, leur cria-t-il, pour
m'attraper et pour m'engager à épouser votre soeur! Mais vous n'êtes
tous deux que des gueux, qui ne valez pas l'eau que vous buvez. Je vais
envoyer des juges qui feront bien vite votre procès. L'on file déjà la
corde dont je vous ferai pendre.
--Roi des paons, répondit le roi en colère, n'allez pas si vite dans
cette affaire, car vous pourriez vous en repentir. Je suis roi comme
vous; j'ai un beau royaume, des habits et des couronnes, et de bons
écus; j'y mangerais jusqu'à ma chemise. Ho, ho, vous êtes plaisant de
nous vouloir pendre! est-ce que nous avons volé quelque chose?»
Quand le roi l'entendit parler si résolument, il ne savait où il en
était, et il avait quelquefois envie de les laisser partir avec leur
soeur sans les faire mourir. Mais son confident, qui était un vrai
flatteur, l'encouragea, lui disant que s'il ne se vengeait pas, tout le
monde se moquerait de lui, et qu'on le prendrait pour un petit roitelet
de quatre deniers. Il jura de ne leur point pardonner, et il ordonna que
l'on fît leur procès.
Cela ne dura guère: il n'y eut qu'à voir le portrait de la véritable
princesse Rosette auprès de celle qui était venue, et qui prétendait
l'être, de sorte qu'on les condamna d'avoir le cou coupé, comme étant
menteurs, puisqu'ils avaient promis une belle princesse au roi, et
qu'ils ne lui avaient donné qu'une laide paysanne. L'on alla à la prison
leur lire cet arrêt et ils s'écrièrent qu'ils n'avaient point menti; que
leur soeur était princesse, et plus belle que le jour; qu'il y avait
quelque chose là-dessous qu'ils ne comprenaient pas, et qu'ils
demandaient encore sept jours avant qu'on les fît mourir; que peut-être
pendant ce temps leur innocence serait reconnue.
Le roi des paons, qui était fort en colère, eut beaucoup de peine à
accorder cette grâce; mais enfin il le voulut bien. Pendant que toutes
ces affaires se passaient à la cour, il faut dire quelque chose de la
pauvre princesse Rosette. Dès qu'il fit jour, elle demeura bien étonnée,
et Frétillon aussi, de se voir au milieu de la mer sans bateau et sans
secours. Elle se prit à pleurer, à pleurer tant et tant, qu'elle faisait
pitié à tous les poissons. Elle ne savait que faire, ni que devenir.
«Assurément, disait-elle, j'ai été jetée dans la mer par l'ordre du roi
des paons; il s'est repenti de m'épouser, et pour se défaire de moi, il
m'a fait noyer. Voilà un étrange homme, continua-t-elle. Je l'aurais
tant aimé! Nous aurions fait si bon ménage!»
Là dessus elle pleurait plus fort, car elle ne pouvait s'empêcher de
l'aimer. Elle demeura deux jours ainsi, flottant d'un côté et de l'autre
de la mer, mouillée jusqu'aux os, enrhumée à mourir, et presque transie.
Si ce n'avait été le petit Frétillon qui lui réchauffait un peu le
coeur, elle serait morte cent fois.
Elle avait une faim épouvantable; elle vit des huîtres à l'écaille; elle
en prit autant qu'elle en voulut, et elle en mangea. Frétillon ne les
aimait guère; il fallut pourtant bien qu'il s'en nourrît. Quand la nuit
venait, une grande peur prenait Rosette, et elle disait à son chien:
«Frétillon, jappe toujours, de crainte que les soles ne nous mangent.»
Il avait jappé toute la nuit, et le lit de la princesse n'était pas bien
loin du bord de l'eau. En ce lieu-là, il y avait un bon vieillard qui
vivait tout seul dans une petite chaumière où personne n'allait jamais:
il était fort pauvre, et ne se souciait pas des biens du monde.
Quand il entendit japper Frétillon, il fut tout étonné car il ne passait
guère de chiens par là. Il crut que quelques voyageurs s'étaient égarés.
Il sortit pour les remettre charitablement dans leur chemin. Tout d'un
coup il aperçut la princesse et Frétillon qui nageaient sur la mer; et
la princesse, le voyant, lui tendit les bras et lui cria:
«Bon vieillard, sauvez-moi, car je périrai ici; il y a deux jours que je
languis.»
Lorsqu'il l'entendit parler si tristement, il en eut pitié, et rentra
dans sa maison pour prendre un long crochet. Il s'avança dans l'eau
jusqu'au cou, et pensa deux ou trois fois être noyé. Enfin il tira tant
qu'il amena le lit jusqu'au bord de l'eau. Rosette et Frétillon furent
bien aises d'être sur la terre.
Elle remercia bien fort le bonhomme, et prit sa couverture dont elle
s'enveloppa. Puis, toute nu-pieds elle entra dans la chaumière, où il
lui alluma un petit feu de paille sèche, et tira de son coffre le plus
bel habit de feu sa femme, avec des bas et des souliers dont la
princesse s'habilla. Ainsi vêtue en paysanne, elle était belle comme le
jour, et Frétillon dansait autour d'elle pour la divertir.
Le vieillard voyait bien que Rosette était quelque grande dame, car les
couvertures de son lit étaient toutes d'or et d'argent, et son matelas
de satin. Il la pria de lui conter son histoire, et qu'il n'en dirait
mot si elle le souhaitait. Elle lui apprit tout d'un bout à l'autre,
pleurant bien fort, car elle croyait toujours que c'était le roi des
paons qui l'avait fait noyer.
«Comment ferons-nous, ma fille? lui dit le vieillard. Vous êtes une si
grande princesse, accoutumée à manger de bons morceaux, et moi je n'ai
que du pain noir et des raves. Vous allez faire méchante chère, et si
vous m'en vouliez croire, j'irais dire au roi des paons que vous êtes
ici: certainement, s'il vous avait vue, il vous épouserait.
--Ah! c'est un méchant, dit Rosette, il me ferait mourir: mais si vous
avez un petit panier, il faut l'attacher au cou de mon chien, et il y
aura bien du malheur s'il ne rapporte la provision.»
Le vieillard donna un panier à la princesse; elle l'attacha au cou de
Frétillon, et lui dit:
«Va-t'en au meilleur pot de la ville, et me rapporte ce qu'il y a
dedans.»
Frétillon court à la ville; comme il n'y avait point de meilleur pot que
celui du roi, il entre dans sa cuisine, il découvre le pot, prend
adroitement tout ce qui était dedans, et revient à la maison. Rosette
lui dit:
«Retourne à l'office et prends ce qu'il y aura de meilleur.»
Frétillon retourne à l'office, et prend du vin blanc, du vin muscat,
toutes sortes de fruits et de confitures: il était si chargé qu'il n'en
pouvait plus. Quand le roi des paons voulut dîner, il n'y avait rien
dans son pot ni dans son office.
Chacun se regardait, et le roi était dans une colère horrible.
«Eh bien, dit-il, je ne dînerai donc point! Mais que ce soir on mette la
brioche au feu, et que j'aie de bons rôtis.»
Le soir étant venu, la princesse dit à Frétillon:
«Va-t'en à la ville, entre dans la meilleure cuisine, et m'apporte de
bons rôtis.»
Frétillon fit comme sa maîtresse lui avait commandé, et ne sachant point
de meilleure cuisine que celle du roi, il y entra tout doucement.
Pendant que les cuisiniers avaient le dos tourné, il prit le rôti qui
était à la broche; il avait une mine excellente et, à voir seulement,
faisait appétit.
Frétillon rapporta son panier plein à la princesse. Elle le renvoya
aussitôt à l'office, et il apporta toutes les compotes et les dragées du
roi. Le roi, qui n'avait pas dîné, ayant grand-faim, voulut souper de
bonne heure; mais il n'y avait rien: il se mit dans une colère
effroyable, et alla se coucher sans souper.
Le lendemain au dîner et au souper, il en fut de même; de sorte que le
roi resta trois jours sans boire ni manger, parce que quand il allait se
mettre à table, l'on trouvait que tout était pris. Son confident fort en
peine, craignant la mort du roi, se cacha dans un petit coin de la
cuisine, et il avait toujours les yeux sur la marmite qui bouillait. Il
fut bien étonné de voir entrer tout doucement un petit chien vert, qui
n'avait qu'une oreille, qui découvrait le pot, et mettait la viande dans
son panier. Il le suivit pour savoir où il irait; il le vit sortir de la
ville.
Le suivant toujours, il fut chez le bon vieillard. En même temps il vint
tout conter au roi; que c'était chez un pauvre paysan que son bouilli et
son rôti allaient soir et matin. Le roi demeura bien étonné. Il demanda
qu'on allât le chercher. Le confident, pour faire sa cour, y voulut
aller lui-même et mena des archers: ils le trouvèrent qui dînait avec la
princesse, mangeant le bouilli du roi. Il les fit prendre, et les
attacha de grosses cordes, ainsi que Frétillon.
Quand ils furent arrivés, on alla prévenir le roi, qui répondit:
«C'est demain qu'expire le septième jour que j'ai accordé à ces
affronteurs. Je les ferai mourir avec les voleurs de mon dîner.»
Puis il entra dans sa salle de justice. Le vieillard se mit à genoux, et
dit qu'il allait lui conter tout. Pendant qu'il parlait, le roi
regardait la belle princesse, et il avait pitié de la voir pleurer.
Puis quand le bonhomme eut déclaré que c'était elle qui se nommait la
princesse Rosette, qu'on avait jetée dans la mer, malgré la faiblesse où
il était d'avoir été si longtemps sans manger, il fit trois sauts tout
de suite, et courut l'embrasser, et lui détacher les cordes dont elle
était prisonnière, lui disant qu'il l'aimait de tout son coeur. On fut
en même temps quérir les princes, qui croyaient que c'était pour les
faire mourir, et qui arrivèrent fort tristes, en baissant la tête. L'on
alla de même quérir la nourrice et sa fille. Quand ils se virent, ils se
reconnurent tous: Rosette sauta au cou de ses frères; la nourrice et sa
fille, avec le batelier, se jetèrent à genoux et demandèrent grâce.
La joie était si grande que le roi et la princesse leur pardonnèrent; et
le bon vieillard fut récompensé largement: il demeura toujours dans le
palais. Enfin le roi des paons fit toute sorte de satisfaction au roi et
à son frère, témoignant sa douleur de les avoir maltraités. La nourrice
rendit à Rosette ses beaux habits et son boisseau d'écus d'or, et la
noce dura quinze jours. Tous furent heureux, jusqu'à Frétillon, qui ne
mangeait plus que des ailes de perdrix.
Le ciel veille pour nous, et lorsque l'innocence
Se trouve en un pressant danger,
Il sait embrasser sa défense,
La délivrer et la venger.
À voir la timide Rosette,
Ainsi qu'un Alcion, dans son petit berceau,
Au gré des vents voguer sur l'eau,
On sent en sa faveur une pitié secrète;
On craint qu'elle ne trouve une tragique fin
Au milieu des flots abîmée,
Et qu'elle n'aille faire un fort léger festin
À quelque baleine affamée.
Sans le secours du ciel, sans doute, elle eût péri.
Frétillon sut jouer son rôle
Contre la morue et la sole,
Et quand il s'agissait aussi
De nourrir sa chère maîtresse.
Il en est bien en ce temps-ci
Qui voudraient rencontrer des chiens de cette espèce
Rosette, échappée au naufrage,
Aux auteurs de ses maux accorde le pardon.
Ô vous, à qui l'on fait outrage,
Qui voulez en tirer raison,
Apprenez qu'il est beau de pardonner l'offense,
Après que l'on a su vaincre ses ennemis,
Et qu'on en peut tirer une juste vengeance!
La vertu vous admire, et le crime pâlit.
Le Mouton
Dans l'heureux temps où les fées vivaient, régnait un roi qui avait
trois filles; elles étaient